Entre Guerre et Paix, Violence et Amour, Enfer et Paradis, le Droit

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REPORT


Entre Guerre et Paix, Violence et Amour, Enfer et Paradis, le Droit François Ost1 Accepted: 15 August 2020 © Springer Nature B.V. 2020

Abstract Le droit s’arrache à la violence, et, dans les meilleurs des cas, se laisse inspirer par la solidarité, parfois même la fraternité. Pour comprendre leurs régimes spécifiques, on peut distinguer, à la manière de « types-idéaux » , trois mondes distincts: bia (violence), ius (droit), et agapè (amour fraternel). Mais, s’ils présentent des caractères spécifiques et sont en partie incommensurables entre eux, ces trois mondes comportent aussi d’importantes interfaces. Dans une perspective dialectique, on peut même soutenir que le droit résulte de la tension permanente entre les rapports de force et les aspirations éthiques, comme si ses limites extérieures le travaillaient aussi de l’intérieur. Autrement dit: ses frontières sont aussi des zones hybrides d’échange, de confrontation et de fécondation réciproques: agon, la confrontation réglée en deçà du droit, et philia, la socialité, légèrement au-delà. Mais, si le droit est le produit de cette tension, il en est aussi la limite et la mesure; moins expédiant que la force, moins sublime que l’amour, il en est cependant la médiation nécessaire. Au conflit, il impose une règle et un arbitre; à l’amour, potentiellement aliénant et possessif, il fournit une mesure. Limité et pourvoyeur de limites, le droit reste le meilleur garant de la liberté et de la justice. Keywords  Droit · Violence · Amour · Bia · Agape · Philia · Agon

* François Ost [email protected] 1



Université Saint-Louis Bruxelles, Brussels, Belgium

13

Vol.:(0123456789)

F. Ost

1 Prélude: Isaac à Molenbeek Un fait divers bruxellois nous conduit au cœur de notre sujet. Réalisée en une nuit, le 22 janvier 2017, une fresque murale de qualité est apparue sur un mur de la commune de Molenbeek–la commune bruxelloise sulfureuse tenue pour base arrière des terroristes islamistes impliqués dans les sanglants attentats des mois précédents à Paris et de Bruxelles.1

La fresque représente une scène d’égorgement très explicite; en regardant mieux cependant se dégage une main, une troisième main, retenant le bras vengeur. Assez vite, les plus lettrés identifient une forte ressemblance de la scène avec un chef d’œuvre de la renaissance italienne: Le sacrifice d’Isaac peint par Le Caravage en 1603, lui-même inspiré par le chapitre 22 de la Genèse. Inutile de dire que l’image fit polémique: provocation irresponsable pour les uns, leçon biblique pour d’autres. Les trois composantes de notre sujet sont ici réunies en une image choc: la violence fascinatoire évoquant des images de propagande de Daech, la référence à une forme idolâtrique et sacrificielle du religieux, dévoiement de l’amour, et finalement l’intervention du droit (dans l’immédiat celle du bourgmestre de Bruxelles qui déclara que la fresque sera recouverte si elle « cause des tensions entre communautés » , ensuite les leçons à tirer—mais lesquelles?- au regard de l’histoire d’Isaac). Interprétée au premier de